Science et croyances

Une réflexion nécessaire

Science et croyances

La science et la religion ont en commun de nous inviter à une certaine compréhension du monde et revendiquent ainsi une forme de vérité. Elles sont au coeur des croyances des Hommes.

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Une croyance d’origine scientifique est-elle préférable à une croyance d’origine religieuse ? Le respect de la démarche scientifique nous oblige à répondre non.

La frontière est fragile qui va de la science, incontestable, à la croyance, contestable. La confusion qui peut en résulter est explosive : quand une croyance se croit scientifique, elle se croit incontestable...

Les résultats spectaculaires de la science moderne nous rendent moins critiques face à tout ce qui a les apparences de la science. A l’époque du déclin du religieux et de la toute puissance de la science, il est important de prendre du recul sur la science comme il aurait été saint de prendre du recul sur la religion du temps de sa toute puissance...

Le livre "Science et croyances" de Jacques Lacarrière et Albert Jacquard est un guide captivant dans cette prise de recul. En voici quelques extraits...


– JL. ...j’ai lu que 47% de la population des Etats-Unis croit encore que le monde a été créé par Dieu il y a environ dix mille ans ! Ne trouvez vous pas cela désespérant ?
– AJ. Non, ce n’est pas désespérant, mais cela pose problème. Ces vieux regards sont véhiculés par les mots de tous les jours. Chaque fois que l’on dit "le Soleil se couche" ou "j’ai admiré le lever du Soleil", on dit une sottise. La phrase véhicule l’idée que le Soleil tourne autour de la Terre. Or, on le sait bien, c’est la Terre qui tourne autour du Soleil ; mais cette connaissance reste théorique. Dans notre représentation intérieure, c’est encore le Soleil qui est l’acteur de ces événements, il tourne, se lève et se couche. [...] La phrase la plus anodine peut ainsi camoufler la réalité. Dans de nombreux domaines, le langage dissimule ou dénature les concepts nouveaux que nous apporte la science ; or, celle-ci vient de renouveler complètement notre regard sur le monde. A ce propos, il faut se battre contre une fausse évidence si souvent exprimée : "Moi, je suis sérieux, je ne crois que ce que me disent mes yeux", entend-on. Cela semble raisonnable. En fait, c’est stupide. ...


– JL. ... Vous avez dit tout à l’heure que vous êtes chrétien. J’ai beaucoup apprécié dans vos livres cette affirmation de vos convictions religieuses, qui ne vous semblent pas incompatibles avec le nouveau regard que la science pose sur l’univers.
– AJ. Etre chrétien ne correspond pour moi à aucune croyance, mais simplement au constat qu’un homme, qu’on appelle le Christ, a tenu un discours nouveau à son époque, et qui résonne encore. Le reste, les détails de la naissance ou de sa vie, les anecdotes, les miracles et même les conditions de sa mort me semblent des événements dont on peut sans fin discuter de l’authenticité. La réalité historique ne m’intéresse guère.
_En revanche, oser dire :"Aimez-vous les uns les autres" est un acte qui ajoute au contenu de l’univers ; un acte totalement gratuit qui aurait pu ne pas être accompli, qui ajoute une dimension supplémentaire à ce qu’apporte la nature : c’est une invention humaine qui transforme la destinée des hommes. Tenter d’y adhérer et d’en tirer les conséquences, c’est cela, pour moi, être chrétien. »


– JL : En un rien de temps, c’est-à-dire les trois siècles qui vont de Copernic jusqu’à Darwin, les deux savants qui avec quelques autres ont fait de l’homme non plus le nourrisson des Dieux ou l’élu de Dieu, mais un errant, un orphelin cosmique. Je dis errant, car ce qui semble avoir frappé les contemporains de ces révolutions astronomiques, c’est bien sûr le décentrement de la Terre, mais aussi sa mobilité. La Terre n’était plus fixe, immobile, unique objet de toute contemplation céleste, mais un astre errant, ou du moins mobile, qui, en perdant sa fixité, perdait aussi sa singularité : occuper le lieu précis et prévu de tout temps pour elle par le Dieu qui l’avait conçue et créée. Et voici qu’elle semblait ne plus vouloir tenir en place et se mettre à courir autour du Soleil, cessant d’être à jamais le foyer - dans tous les sens du mot - qu’elle avait été jusque-là ! Dépouillement, dénudation, mais dénudation salutaire. La science a peu à peu démailloté les fils qui nous liaient, nous reliaient au grand cocon cosmique, nous laisant à notre nudité de primate imprévu et d’une certaine façon inabouti. C’est beaucoup de perdre en moins de trois siècles de telles croyances. Il nous reste à apprendre à vivre avec cette nudité sans pour autant nous sentir orphelins...


– JL : ... je me suis rendu compte combien il est difficile de concilier parfois science et sagesse. Chaque acquis scientifique - dés l’instant où il ne se rattache pas à l’expérience quotidienne - exige un effort de détachement à l’égard de cette expérience même ; le premier savant venu vous expliquera qu’il y a autant de vide entre les atomes d’une table ou d’un marteau qu’entre les étoiles et les galaxies ! Mais le jour où, adolescent, je découvris cette affirmation dans un ouvrage de vulgarisation, je ressentis comme un vertige, ou plutôt, l’impression de voir double. Aisni, le tilleul de notre jardin où je passais souvent des heures à rêver, ce tilleul, avec son écorce rugueuse, striée d’arêtes dures et denses, était-il fait de vide ? J’eus l’impression, alors, de voir l’arbre pour la première fois et je m’approchai de son tronc en le fixant obstinément, comme si, par cette insistance, j’allais apercevoir le tourbillon de ses atomes tournant dans le vide infini. Il y avait là pour moi deux mondes inconciliables : le monde apparent, visible, palpable de l’écorce et le monde réel mais invisible et impalpable des atomes, d’après la science. J’entrevis là, dés cette époque, deux univers bien différents qui m’annonçaient déjà, sous forme expérimentale, le choix crucial de toute philosophie : faut-il se fier à l’apparence des choses, au tronc des tilleuls par exemple, ou à la réalité cachée de l’univers, invisible comme l’être et comme l’âme ? Je sus ainsi que la science, loin de n’être qu’apprentissage des voies de la logique ou des mathématiques, pouvait aussi être une aventure visionnaire, puisqu’elle entrevoyait le vide au coeur du plein.

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