Le Papalagui

Le patrimoine de l’homme blanc

Le Papalagui

Touiavii, un chef polynésien, parcours l’Europe au début du XXème siècle. A son retour et pour édifier les siens, il écrivit des discours.

"Le papalagui", qui signifie "Homme blanc", est la transcription de ces discours. Le décalage est total entre ce polynésien et l’européen de 1900, les différents chapitres du livre en témoignent merveilleusement tout en illustrant bien le propos (les italiques sont de moi) :

  1. Les couvre-chair (vêtements) du Papalagui, ses nombreux pagnes et nattes
  2. Les coffres en pierre (immeubles), les fentes de pierre (rues), les îles de pierre (villes) et ce qu’il y a entre elles
  3. le métal rond (pièces) et le papier lourd (billets)
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  4. le Papalagui devient pauvre à cause du grand nombre de choses (abondance matériel)
  5. Le Papalagui n’a pas le temps
  6. Le Papalagui a appauvri Dieu
  7. Le Papalagui est un magicien (science et technique)
  8. La profession du Papalagui
  9. Le lieu de la vie factice (cinéma) et les mille papiers (livres) du Papalagui
  10. La maladie de penser sans cesse
  11. L’obscurité du Papalagui

L’actualité des thèmes est frappante ! L’obsession du temps, de la pensée, du matériel : tout ce qui nous décrit si bien aujourd’hui sautait déjà aux yeux il y a plus d’un siècle : j’aurai imaginé mes ancêtres plus naturels et authentiques. Et bien non, c’est d’ailleurs pour moi le grand enseignement de cette lecture : un siècle s’est écoulé et nous n’avons pas changé !

Nous avons tendance à nous définir par les différences que nous observons avec nos contemporains. Ainsi, un syndicaliste du XXI ème siècle se sent probablement très différent d’un baron du capitalisme, un athée très différent d’un croyant... Que dire de la différence que nous ressentons entre un paysan du siècle de Louis XIV et nous même et soyons fou entre Louis XIV et nous même : deux univers totalement étrangers...

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Et pourtant... après avoir lu ce livre je ne peux pas m’empêcher de penser que les différences ne sont pas si importantes et que nous avons surtout en commun d’être des Papalagui.

Le Papalagui, c’est ce socle que nous partageons aujourd’hui et depuis des siècles. A côté de ce socle, les différences et les divisions que nous pourrions établir entre nous perdent tout d’un coup de leur substance pour ne devenir que nuances... une bien belle leçon !

Lisez donc "Le Papalagui" pour découvrir qui vous êtes vraiment, en attendant quelques extraits, dont certains ont une naïveté savoureuse.


"Sa hutte ressemble à un coffre de pierre debout. Un coffre plein de cases et de trous. On ne peut rentrer et sortir de la coquille de pierre qu’en se glissant par un seul endroit. Le Papalagui appelle cet endroit l’entrée quand il entre dans la hutte, la sortie quand il en sort, bien que les deux ne soient qu’une seule et même chose."

Pour décrire la sonnette d’entrée : "Alors on voit devant soi la gentille copie d’un téton féminin sur lequel on appuie, et un cri résonne faisant venir le Papalagui."

Pour décrire la salle de bain : "dans le dernier coffre, le plus petit, on se baigne. Celui-ci est l’endroit le plus beau de tous. Il est revêtu de grands miroirs, le sol décoré par une couche de pierres colorées, et au milieu il y a une grande coquille en métal ou en pierre, dans laquelle de l’eau ensoleillée ou non se précipite."

"Et l’homme riche ne sait pas non plus si les honneurs qu’on lui rend s’adressent à lui ou à son argent. C’est la plupart du temps tourné vers son argent. Et je ne comprends pas pourquoi ceux qui n’ont qu’un peu de métal rond et de papier lourd ont tant de honte et envient l’homme riche, au lieu de se laisser envier eux-mêmes."

"Mais aucun Papalagui ne veut renoncer à son argent. Pas un. Celui qui n’aime pas l’argent est ridiculisé. La richesse - c’est pour lui avoir beaucoup d’argent - rend heureux, dit le Papalagui et pour lui le pays le plus riche est le plus heureux"

"Supposons que le Papalagui ait envie de faire quelque chose que son coeur désire : il voudrait peut-être aller au soleil ou aimer sa femme, eh bien, presque toujours, il laisse son envie se gâter en s’arrêtant à cette pensée : je n’ai pas le temps d’être heureux. Le temps voulu a beau être là, il ne le voit même pas avec la meilleure volonté du monde..."

"Le Papalagui a une façon de penser particulière et très embrouillée. Il se demande toujours comment une chose va lui être utile et lui donner des droits. Il ne pense que pour un seul et non pour tous les êtres humains. Ce seul être est lui-même. Quand un homme dit : "ma tête est la mienne et elle n’appartient à personne d’autre qu’à moi", c’est cela et personne ne peut avoir un avis contraire. Jusque là je donne raison au Papalagui. Mais il dit aussi : "Le palmier est à moi" parce qu’il se dresse devant sa hutte. Mais le palmier n’est pas du tout le sien. Le palmier est la main de Dieu, la main qu’il nous tend à travers la terre. Dieu a beaucoup de mains. Chaque arbre, chaque fleur, chaque brin d’herbe... Nous pouvons y prendre ce qu’elles nous donnent mais il ne nous est pas permis de dire : "la main de Dieu est ma main". C’est pourtant ce que fait le Papalagui."

"Maintenant le fourbe Papalagui voudrait nous persuader que Dieu n’a rien : "Ce que tu peux tenir avec tes mains t’appartiens !" Fermons nos oreilles à ces paroles débiles et restons attachés à la sage connaissance. Tout est à Dieu."

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