Soeur Emmanuelle
Le dilemme est le suivant : est-il possible de suggérer à Soeur Emmanuelle une approche plus équilibrée de l’altruisme, de l’amour du prochain ?
Rappelons-le, Soeur Emmanuelle est une Sainte moderne, alors comment se permettre ? Pire, comment se le permettre devant des millions de téléspectateurs sans encourir leur incompréhension ?
Gérard Miller, psychanalyste, l’a fait. Je vous en rapporte la substance n’en ayant pas été le témoin : il a fait valoir qu’il y avait une certaine forme d’aveuglement dans la manière de Soeur Emmanuelle d’accorder son amour à tous sans distinction.
Pour Gérard Miller, médecin de profession, les hommes ne sont pas égaux quand à l’amour qu’il est prêt à leur donner, il peut donner beaucoup à certains mais moins à d’autres, et ce en dépit de sa vocation.
Pour illustrer son propos, il emploie un argument extrême : 99% de sa famille a disparu dans les camps nazis, cela lui suffit pour que tous les hommes ne soient pas égaux dans l’amour qu’il est prêt à leur apporter.
L’argument marque et Soeur Emmanuelle consent qu’elle est effectivement d’un optimisme sans faille dès lors qu’il s’agit des créatures de Dieu.
Gérard Miller conclut qu’aimer peut s’exprimer différemment que par le don de soi à l’autre.
J’adhère totalement, aimer vraiment demande parfois de refuser le don de soi à l’être aimé.
Je regrette de ne pas avoir assisté à ce grand moment de télévision. Je remarque cependant que pour attirer l’écoute face à l’idéal d’amour que représente Soeur Emmanuelle, il a fallu employer un idéal de terreur.
A mon sens, cela illustre la face extrémiste de l’univers de Soeur Emmanuelle, et ma complète ignorance de ce que le don de Dieu peut apporter d’équilibre à une vie de dévouement.
Cette opinion rédigée en janvier 2000 ne m’a jamais vraiment laissée en paix, il me semblait manquer quelque chose d’important.
En septembre 2003, je crois avoir découvert le complément qui permet d’équilibrer cette opinion présomptueuse dans un texte de Eric-Emmanuel SCHMITT ("L’évangile selon Pilate") :
"...
– Est-ce si indécent de vouloir l’amour ?
– Oui. Je n’en veux pas de ton amour. Je préfère choisir qui m’en donne. Et à qui j’en donne. Domaine réservé.
– Tu as raison, Pilate. Que deviendrions-nous si nous nous aimions tous ? Penses-y, Pilate, que deviendrions-nous dans un monde d’amour ? Que deviendrait Pilate, préfet de Rome, qui doit sa place à la conquête, à la haine et au mépris des autres ? Que deviendrait Caïphe, le grand prêtre du Temple, qui t’achète sa charge à force de cadeaux et assoit son autorité sur la crainte qu’il inspire ? Y aurait-il encore des Juifs, des Grecs, des Romains dans un monde inspiré par l’amour ? Encore des puissants et des faibles, des riches et des pauvres, des hommes libres et des esclaves ? Tu as raison Pilate d’avoir si peur : l’amour serait la destruction de ton monde. Tu ne verras le royaume de l’amour que sur les cendres du tien.
..."
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